Perte, empreinte et survivance. Une lecture de l'image cinematographique du Singe bleu, d'Esther Valiquette

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Tel est donc notre privilège : il est lié certes à notre don de disparaître, mais c’est qu’en cette disparition se manifeste aussi le pouvoir de retenir, et dans cette mort plus prompte s’exprime la résurrection, l’allégresse d’une vie transfigurée.

Maurice Blanchot, L’espace littéraire, 1955.

 

Pénétrée par la perte, la brisure et le deuil, l’expérience sidéenne, plus particulièrement celle d’Esther Valiquette, se révèle et s’ouvre sous le sceau de l’accident : cette disparition soudaine de la vitalité qui ne trouve plus ses résonances qu’en la mortalité, en la fatalité, là où la vie et la mort, alors indissociables, deviennent une certitude effrayante et précipitent le rendez-vous avec le temps. Là où le regard, lucide, est soudainement frappé par l’avancée du virus, par sa présence si concrète, qui est aussi son acmé.

« Là où le regard est une mesure »

Cet arrachement de l’innocence et de l’ignorance qu’évoque Valiquette pour parler de sa vie ravagée par la maladie et de la civilisation minoenne, détruite par la catastrophe, n’est possible que parce qu’il est de l’ordre de la contingence, de la sur-venue. Il met au jour la présence mortifère d’une réalité enfouie, jusqu’alors absente, muette : le virus lové dans les veines, en incubation, et le frémissement du volcan qui ensevelira toute l’île de Santorin. Consacrant la mort sidéenne à venir, tout comme le déclin de la communauté minoenne, cet accident autour duquel s’amorce la réflexion de Valiquette permet de penser l’irreprésentable de l’expérience sidéenne, d’écrire cette expérience et de la donner à voir en images, d’accueillir « cette certaine possibilité impossible » (Derrida, 1996, p. 29) qu’est le partage de son propre sida; de réaliser, enfin, le récit autobiographique audiovisuel qu’est Le Singe bleu (Valiquette, 1992). De cette incessante recherche du sujet sidéen à l’obsession de la trace et de l’empreinte qui animent ce récit filmique, on voit naître, en creux, une réflexion poétique sur l’altérité et sur la communauté lorsque la mort devient imminente. Dans la présente étude, il s’agit d’examiner l’image cinématographique en regard de la corrélation dressée entre les parcours accidentés abordés dans cette œuvre : celui d’une vie transformée par la maladie, celui également de la civilisation et de la culture minoennes, emportées par la tragédie. Intimement liés, ils participent de ce récit de la perte, de la trace et de l’empreinte dont est ici suggérée la lecture. Qui plus est, ils confèrent un nouveau statut ontologique à la mort, dans la mesure où celle-ci, ne s’opposant plus à la vie, est synonyme de survie et de revenance.

« Et j’ai pensé que souvent la beauté est au fond d’une blessure »

Histoire de l’arrachement, du dépouillement, Le Singe bleu est le récit endeuillé d’une vitalité perdue : la fertilité des terres minoennes, englouties par le cataclysme géologique; le corps de Valiquette, dépouillé de sa subjectivité et projeté dans l’altérité qu’est la chair sidéenne, livré à l’invasion du virus, légué à la froideur médicale, à sa clinicité. « Ils t’ont approchée avec des gants et tu as commencé à y croire. » (Valiquette, 1993, p. 951.) Bien que la monstration du sida et de ses ravages soit la pierre angulaire de cette œuvre filmique, étonnamment, celle-ci ne s’attache pas à révéler le travail de la mort et de la matérialité de la douleur sur le corps réifié par la maladie2. Au contraire, le corps investi par l’affection est physiquement absent des images filmiques. Il signe l’effacement progressif du sujet « positif » en dévoilant, par le fait même, la généalogie polysémique et métaphorique du sida : microprocessus, cancer, invasion, « squatter infatigable, colonisateur du système immunitaire, opportuniste » (Valiquette, 1993, p. 99). L’opération mortifère du sida est traduite non pas par la mise en images du corps stigmatisé par les lésions de Kaposi, mais bien par la représentation du virus lui-même : par l’acuité d’un regard microscopique, celui de « l’infiniment petit, de l’infiniment complexe » (ibid.), qui, franchissant les frontières de la corporalité, sonde l’intériorité du corps tout en en révélant la précarité.

Le film de Valiquette, en privilégiant la vision de la structure interne du corps sidéen, permet de matérialiser l’invisibilité même du rétrovirus : d’une part, en le distanciant de son caractère initial de désastre épidermique et, d’autre part, en le dévoilant plutôt comme désastre épidémique, comme invasion meurtrière. En effet, Le Singe bleu initie une trame discursive où s’avèrent visibles le cheminement secret de l’expérience mortifère, son impalpabilité. Conséquemment, il procède d’un certain renversement des conditions visuelles et de la perception : « L’invisible, pour être visible, passe par le visible. On ne peut le saisir par sa nature propre, mais seulement par dérivation, par la manifestation de son contraire. » (Mauron, 2001, p. 195.) L’absence du corps moribond comme matière de visibilité et médiation du virus rend possible la représentation de la dimension infectieuse du sida. Valiquette substitue à l’image de son corps sidéen pénétré par le virus une image depuis « l’intérieur de la maladie » traversée par le regard médiatique et médical; elle explore ainsi cette concomitance entre sidéens et Minoens, invitant à penser la tragédie, la sienne, à la mesure des désastres planétaires, puisque se joignent et s’allient les images du rétrovirus et celles d’une civilisation destinée à la ruine. « Il y a des vies interrompues par accident, par la maladie. Il y a des civilisations interrompues par accident. Ainsi les choses et les êtres sont happés dans le même chemin, vers un centre inconnu et insatiable. » (Valiquette, 1993, p.  97.)

Maintenue dans cette trouée entre l’absence physique du corps souffrant et l’image intérieure de la maladie, la voix dans Le Singe bleu assure la narration et la matérialité nodale de la représentation sidéenne. Cassée, essoufflée, fatiguée, elle traduit la souffrance reliée à l’itinéraire sépulcral. Le grain de la voix, ce grain dans la voix, vibrato de la vie humaine confrontée à la mort, instaure la présence du corps absent marqué par le virus, dans la mesure où il l’enveloppe et le prolonge : « c’est le corps dans la voix » (Barthes, 1982, p. 243) qui souffre et qui se fait entendre, se concrétise et devient l’image sonore d’un sida parlé, révélé, s’autorisant alors le récit de la catastrophe qui l’a façonné. Racontant son sida, la narratrice en témoigne simultanément : elle relate l’expérience d’un présent irréversible et d’un futur qui n’aura jamais lieu, qui est en transit, pétrifié dans la voix. Cette autorité narrative dont se revêt Valiquette est en elle-même l’autorité du mourant : ce désir d’inscrire, dans la mémoire de soi et de l’autre, le tracé de l’expérience maintenant communicable puisque située aux confins de la vie humaine. « La mort est la sanction de tout ce que peut rapporter le narrateur. À la mort il a emprunté son autorité. » (Benjamin, 1987, p. 160.) De plus, la mort côtoyée par Valiquette devient la condition essentielle à la réalisation du Singe bleu. Appartenant tous deux à ce temps du « mourir » qu’exige l’accomplissement de leurs démarches, la sidéenne et le film rappellent la singulière proximité qui unit « “ je (me) meurs ” et je “(m’) image” » (Nancy, 2003, p. 173).

Soutenue par la voix de Valiquette, la narration induit la promiscuité de la mort et est l’empreinte d’une réalité sidéenne qui a été et qui est toujours, lorsque déployée, entendue au présent de la spectature3. L’expérience de la maladie, qui ne peut passer que par la voix subrogeant le corps, rappelle ce noème qui marque la photographie : « Je ne puis jamais nier que la chose a été . » (Barthes, 1980, p. 120.) Ainsi, la voix, indice de l’appartenance absolue au vivant, à l’encore vivant, est cette matérialité sonore qui, en relatant l’événement du sida, renforce sa puissance d’authentification, de véracité. Parce qu’enregistrée, elle tend à sa conservation et à sa potentielle itération; elle intime un retour inévitable qui consacre à la fois le souvenir et l’oubli.

On ne peut plus dire, comme jadis, que les paroles s’envolent. Elles peuvent simplement rester, aussi bien que les écrits, et le timbre d’une voix ou un simple soupir peuvent être gravés et entendus à nouveau. Tout ce qui est enregistrable, sons ou images, peut prétendre passer encore, une multiplicité de fois, être à nouveau entendu ou vu.  (Agacinski, 2001, p. 99-100.)

La narration de la cinéaste, puisant impudiquement dans l’intimité de l’affection, invite donc au partage de la mort sidéenne : elle devient sans contredit une expérience pour qui l’écoute et imprime, sur le récit filmique, la marque de la narratrice, c’est-à-dire la mémoire de son corps souffrant, son anamnèse sonore.

« C’est au cœur de la trace que tu vas prendre la mesure de ton passage, et dans les méandres noueux de ta mémoire te fondre dans une mémoire plus grande encore pour confronter le temps. »

Si Le Singe bleu a pour origine le deuil d’une vitalité, il est aussi l’histoire d’une quête de la filiation dans la trace : la difficulté d’accéder à une image ostensible du corps sidéen invite à la recherche d’une nouvelle descendance non entachée par le virus. C’est dans les lieux bondés et chargés de mémoire, vestiges d’une Grèce idyllique, que Valiquette ira puiser les « restes » de son existence dérobée par le sida, « sacrilège de la mémoire biologique ancestrale » (Valiquette, 1993, p. 99). L’itinéraire de la narratrice dans ces lieux qui ont subi, tout comme elle, les affres de la vie et du temps semble interroger la précarité et le caractère éphémère de l’existence. Le travail opéré par l’image cinématographique révélant les décombres de Santorin invite à penser à cette question du deuil, de l’absence et de la disparition, dimension relative à la représentation visuelle et à la hantise de la réalisatrice4. Les images du Singe bleu, qui donnent à voir ce qui relève de l’après-destruction, accueillent cette alternance entre présence et absence : elles retiennent comme empreinte cette Toute-présence de l’absence qui envahit la Crète minoenne. Ses lieux vides, qui font écho à l’arrachement de la vitalité chez le sujet sidéen, colonisent l’espace et le densifient, créant un souffle de l’absence qui est celui de la survivance même5. Cette survivance, de l’ordre de la sur-vie, est la manifestation de ce temps sans temps que signifie le paysage ruiné de Santorin : ce temps qui n’a pas passé, mais qui, toujours, demeure, praesentia in absentia fossilisée dans la trace de sa destruction. « [Le] temps de l’événement [mortifère] n’est pas le temps de l’histoire. Ni celui du calendrier. C’est un temps sans chronologie — ni lieu — qui n’en finit pas d’arriver tout autrement, un temps qui défie le temps au point de le rendre sensible. » (Soussana, 2001, p. 23.) Ainsi la communauté minoenne, fantôme d’air et de terre pulvérulente, engendre-t-elle de la spectralité, de la revenance, pour autant qu’elle dépeigne la disparition et la présentifie.

« La trace ne livre pas tout, c’est un reflet qui s’incline selon l’heure du jour, le regard lui rend la parole ou la laisse muette, à son mystère. »

Un certain pouvoir du lieu se dessine alors, au sens de Didi-Huberman; lieu qui, anthropomorphisé, investit les décombres de la Crète minoenne et exhale l’essence même de l’absence, celle-ci comblant chaque pore de l’espace. Ce pouvoir du lieu existe parce qu’il se fait, dans le film, le porte-empreinte de la disparition. Le voyage de la caméra, qui parcourt les ruines et ce qu’il reste de ce qui a été emporté par la lave du volcan, est la représentation d’un événement de survivance qui joint la présence et l’absence et confronte, dans sa rythmicité, le maintenant et le jadis. De fait, l’image cinématographique du Singe bleu, comme médiation de la disparition, instaure une forme de temporalité détemporalisée : si celle-ci évoque que quelque chose a été, elle induit indubitablement que cette chose n’est plus, à savoir les sols verdoyants de la Crète minoenne, le corps vigoureux de Valiquette, l’ignorance de la maladie. Tout comme la trace, l’image cinématographique de ce récit du sida engage une dimension d’origine et une dimension de fin; elle interpelle à la fois l’apparition de sa disparition et l’apparition de son apparition.

Les traces ne produisent donc l’espace de leur inscription qu’en se donnant la période de leur effacement. Dès l’origine, dans le présent de leur propre impression, elles sont constituées par la double force de répétition et d’effacement, de lisibilité et d’illisibilité. (Derrida, 1978, p. 334.)

Dialectique ou auratique, elle évoque « quelque chose qui nous dit aussi bien le contact que la perte; quelque chose qui nous dit aussi bien le contact de la perte que la perte du contact » (Didi-Huberman, 1997, p. 19). Indécidabilité et paradoxe surgissent dans Le Singe bleu, qui tangue entre la monstration de la vie et celle de la mort : le montage alterné mariant les images de la Crète fertile et celles de l’univers hospitalier en témoigne admirablement. À la différence du fatum, ce temps de la finitude et de l’arrêt, le film de Valiquette présente une expérience de la mort sans cesse différée et à la fois dissoute, puisque prise dans l’image et pérennisée par la pellicule filmique.

Dans l’urgence de la mémoire qui invite à rencontrer la trace, Le Singe bleu propose une double réalité où s’amalgament présent et passé. Mettant en scène « le désir de l’éternel retour et l’éternel retour du désir » (Didi-Huberman, 2001, p. 42), le film propose de concevoir autrement l’événement mortifère, la catastrophe. Interpellant la réminiscence et le travail de la conscience mémorielle, il offre la possibilité de reconstituer, non sans les restaurer, les lieux fertiles de la Grèce au temps de sa splendeur : « le marbre rafraîchissant et l’albâtre rose qui résistent encore à l’usure de l’âge et trahissent un goût pour le beau et la volupté » (Valiquette, 1993, p. 97). Bien sûr, la narration et la bande sonore du film génèrent cette reconstitution des lieux dévastés. Se font entendre sans cesse, soutenant l’image des ruines, les bruissements de la vie humaine, le martèlement des outils travaillant la pierre; indices d’une civilisation en train de laisser sa trace, d’immortaliser sa présence en tâchant de s’arrimer à la vie. Cette mise en mouvement de la mémoire, opérée par le dispositif cinématographique, permet de penser la disparition en termes de mouvance, voire de mémoire mouvante6. Alors que les ruines évoquent, de prime abord, le vertige de la fin, l’image cinématographique et ses qualités matérielles induisent, pour leur part,  une infinie dimension résiduelle :

L’image, mieux que toute chose, probablement, manifeste cet état de survivance qui n’appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait, mais à un genre d’état aussi paradoxal que celui des spectres qui, sans relâche, mettent du dedans notre mémoire en mouvement. L’image serait à penser comme une cendre vivante. (Didi-Huberman, 2001, p. 16.)

Ce concept d’image comme cendre vivante, tel ce qui se « destine à la dispersion sans retour » (Derrida, 1987, p. 23), est omniprésent dans l’œuvre de Valiquette, qui fait dialoguer la trace et le feu, survivant dans la cendre : « Le feu : ce qu’on ne peut éteindre dans cette trace parmi d’autres qu’est une cendre. Sans doute le feu s’est-il retiré, l’incendie maîtrisé, mais s’il y a là cendre, c’est que du feu reste en retrait. » (Valiquette, 1993, p. 45.) Cette présence latente que dénote ici la cendre rencontre celle de l’image cinématographique du Singe bleu, qui demeure après la catastrophe et qui « succède au bout des voix tues » (Jabès, 1980, p. 20). Les nombreuses séquences dévoilant la terre brûlée, encore chaude et fumante, et les pierres suintantes, le frémissement du volcan, en sont l’attestation. Plus particulièrement, l’énigme du disque de Phaestos, cette surface d’argile où sont imprégnés des signes d’une écriture indéchiffrable, participe de ce paradoxe de la trace, qui est aussi, a fortiori, celui de l’image cinématographique « qui parle de la pérennité des choses et de l’évanescence de leur contenu » (Valiquette, 1993, p. 99). En effet, le dynamisme et le mouvement que suggère le disque sont mis de l’avant par la musique au rythme rapide, mais aussi par la rotation de l’image de ce disque, juxtaposée aux images de la maladie, du virus, et à celles, archivistiques, de l’irruption volcanique. Bien que le disque de Phaestos suggère que le temps passe inlassablement, le virus et le volcan, quant à eux, rappellent l’imminence de l’accident, la mort ambiante. Le Singe bleu et les images cinématographiques qui le façonnent proposent donc un ordonnancement tout autre de la temporalité, qui n’est pas sans évoquer, paradoxalement, que « cela est mort et [que] cela va mourir. » (Barthes, 1980, p. 123.) Cette concomitance du présent, du passé et du futur dans la mort exprime la circularité qu’induit l’image, qui a certainement à voir ici avec la résurrection et la survivance.

L’énigme du disque de Phaestos ne sera peut-être jamais résolue. À la fois étranges et familières, des figures empruntées au quotidien circulent dans une spirale rythmée, suggèrent un refrain, ou un calendrier, rappellent le retour des événements ou leur brève apparition dans le temps. (Valiquette, 1993, p. 97.)

Porté par le désir de s’arracher à son histoire et poussé par une mémoire à reconstruire, excentrée de la fatalité sidéenne : tel est Le Singe bleu, itinéraire migratoire d’une mourante adoptant le ton intimiste de la caméra afin de croiser les traces de l’Autre, les empreintes d’une civilisation prospère qui n’avait pas prévu sa fin, une civilisation chargée de mémoire, grosse de souvenirs. Récit d’un deuil et d’un accident qui emporte tout et qui conduit inévitablement à la perte de soi, à l’expérience douloureuse de l’hors de soi, le film, en reconnaissant dans la maladie les signes de la tragédie et du cataclysme géologique, propose une allégorie de la mort qui n’est pas sans suggérer l’expérience blanchotienne de la communauté lorsque la mort est sans appel : « Il ne saurait y avoir de communauté si n’était commun l’événement premier et dernier qui en chacun cesse de pouvoir l’être (naissance, mort). » (Blanchot, 1983, p. 22.) Si l’image cinématographique, dans sa matérialité, pérennise les lieux ruinés de Santorin, c’est qu’ils partagent aussi la solitude de l’événement qu’est le mourir, la disparition. En tant que lieux de mémoire, ils sont chargés de traces, indices signifiants de la survivance à partir desquels il est impossible d’affirmer qu’il n’y a plus rien, « l’empreinte nous oblige[ant] à penser la destruction avec son reste, à renoncer aux puretés du néant » (Didi-Huberman, 2001, p. 55). L’image cinématographique du Singe bleu, qui allie les représentations de la mort sidéenne et celles de la dévastation de la Crète minoenne, se traduit alors comme un don d’images réconfortant qui ne cesse d’émouvoir : un legs qui invite à penser la disparition par rapport à la sur-vie. Au même titre que l’écriture, qui est « d’essence testamentaire » (Derrida, 1992, p. 100), le film se fait la trace d’une expérience singulière de la mortalité. Mais qu’en est-il de cette expérience lorsqu’elle est présentée en images et préservée sur pellicule filmique?  Vouée à disparaître, elle n’est pas sans dépendre du destin qui est le sien : celui de triompher de sa propre mort.

J’emporte avec moi les empreintes de ce qui fut la joie,

ce qui, ne serait-ce qu’une seconde, nous a liés au sublime.

 

Bibliographie

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Mauron, Véronique. 2001. Le Signe incarné : ombres et reflets dans l’art contemporain. Paris : Hazan, 269 p.

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Valiquette, Esther. 1993. « Le Singe bleu ». Trois, vol. 8, no 3, p. 99-103.

Filmographie

Valiquette, Esther. 1992. Le Singe bleu. Prod. Josée Beaudet. Montréal : Studio-F-Regards de femmes/ONF. Vidéocassette VHS, 30 min, son, couleur.

 

Pour citer cet article: 

Dussault, Myriam. 2005. «Perte, empreinte et survivance. Une lecture de l'image cinematographique du Singe bleu, d'Esther Valiquette», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/dussault-7> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Dussault, Myriam. 2005. «Perte, empreinte et survivance. Une lecture de l'image cinematographique du Singe bleu, d'Esther Valiquette», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, p. 60-71.