Laisse-moi parler! Homosexualités en littérature destinée aux adolescents

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La littérature à thématique homosexuelle destinée à la jeunesse est de celles qui, jusqu'à tout récemment, étaient condamnées au silence, écrasée sous la masse lourde des discours hétéronormatifs. Peu à peu, une voix s'est élevée et elle s'est faite de plus en plus insistante. Impossible aujourd'hui de l'ignorer. Le personnage LGB1 dépositaire de cette voix est maintenant au centre d'un discours qu'on a longtemps tenu à cacher, surtout aux lecteurs enfants et adolescents. Il a fallu attendre 1991, au Québec, avant la parution du roman de Diane Weiler, Le Bagarreur, traduction d'un roman canadien écrit en 1989. Le premier roman québécois mettant en scène un personnage LGB en tant que personnage principal est en réalité Requiem Gai, paru en 1998. Depuis, une vingtaine de romans correspondant à ce critère ont été publiés. Si notre corpus n'est jeune que de vingt ans, il en va autrement pour celui des États-Unis. Le premier roman racontant l'histoire d'un adolescent LGB, I'll Get There It Better Be Worth The Trip (Donovan 1969), a vu le jour en 1969, et le nombre de publications n'a cessé d'augmenter chaque décennie (Jenkins et Cart 2006, XV). De nombreux personnages principaux LGB sont dorénavant mis en scène dans les récits destinés aux adolescents; leurs histoires, leurs réalités – bien que fictives – deviennent accessibles aux lecteurs.

Cet article s'intéressera à la question de la voix dans un corpus de romans destinés aux adolescents dans lesquels sont présents des personnages principaux masculins homosexuels ou bisexuels. Nous nous intéressons ici aux personnages masculins, mais nous croyons que les observations que nous ferons pourraient aussi s'appliquer aux personnages féminins.

Le corpus restreint d'œuvres que nous étudions comprend des romans publiés au Québec et aux États-Unis entre 2003 et 2016. Bien que plusieurs enjeux de la littérature LGB soient communs à la majorité des récits, ce n'est pas le cas de tous. Malheureusement, la littérature à thématique LGB québécoise ne parvient pas (encore) à rendre compte de l’hétérogénéité des vécus des membres de la communauté arc-en-ciel. Puisque ces fictions mettent souvent en scène des adolescents qui doivent composer avec la prise de conscience de leur sexualité hors-norme, la trame narrative se développe exclusivement autour de cette réalisation, taisant ainsi les autres expériences du personnage adolescent et, par conséquent, son individualité. L'étude intersectionnelle des récits est donc presque impossible. Pour cette raison, je ferai référence, dans le présent article, à quelques œuvres états-uniennes qui me permettront d'approfondir mon étude du personnage LGB et du discours porté par ce dernier aux moyens d'exemples significatifs.

Cet article sera divisé en trois parties. Tout d'abord, je discuterai des particularités de cette littérature qui dictent la manière dont le sujet des homosexualités est abordé. Ensuite, je m'intéresserai à la voix émergente que constituent les romans à thématique LGB et verrai de quelle manière elle est construite. Puisque cette littérature donne à lire la naissance d'un personnage contestataire – le moment de sa prise de conscience et de l'expression de sa différence –, je m'attarderai finalement à la question du coming out, centrale à l’intrigue des romans du corpus.

La littérature LGB destinée aux adolescents

Pour bien comprendre le contenu des romans à thématique LGB, il nous faut considérer le public principal auquel ils sont destinés, lequel a un impact important sur la manière dont sont construits les récits. Les schémas narratifs, les discours des personnages, ainsi que les autres éléments de l'univers fictionnel sont pensés en fonction des lecteurs anticipés : dans le cas présent, les adolescents et les jeunes adultes.

L’adolescence est souvent considérée comme le lieu d’un hiatus : l’individu quitte le monde de l'enfance, de l'innocence, et chemine vers le monde adulte, fait de responsabilités et de choix aux implications décisives. Le personnage d'Ari (Aristotle and Dante Discover the Secrets of the Universe) fait référence à cet entredeux. Plaisantant avec sa mère, Ari affirme qu'il ne peut rien accomplir puisqu'il n'est pas encore adulte :

“You have to become a person first.”
She gave me a funny look. […]
“Fifteen years old don't qualify as people.”
My mom laughed. She was a high school teacher. I knew she half agreed with me. (Alire Saenz 2012, 8)

Sa mère lui explique d'ailleurs qu'il se situe dans un écotone (238). Ce terme géologique signifie, selon le Larousse, une « [z]one de transition entre deux écosystèmes, où les conditions d'environnement sont intermédiaires » (2013, 375). En qualifiant d'écotone la phase de développement dans laquelle se trouve Ari, elle reconnait l'état incertain qui est le sien et qu'il traverse, attribuant à l'adolescence un caractère transitoire, lui conférant un « avant » et un « après ». La réflexion d'Ari démontre qu'il est lui-même conscient du lieu de passage dans lequel il se trouve. Pour lui, être adulte, c'est comprendre qui il est et, ainsi, pouvoir agir. Cette préoccupation est partagée par nombre de protagonistes du corpus dont il est ici question – on pourrait dire de la plupart des œuvres destinées aux jeunes adultes –, et la résolution de cette interrogation est l'un des buts à atteindre à la fin du roman : la connaissance de soi, de son identité et de ses désirs. Cet objectif n'est pas seulement celui du personnage; il est aussi celui des lecteurs supposés de ces récits.

Comme le note Renaud Lagabrielle, les œuvres destinées aux adolescents permettent au lecteur

de mieux se connaître et se comprendre donc, mais aussi de mieux connaître et comprendre le monde qui l'entoure et dans lequel il/elle grandit et évolue. Les spécialistes de la littérature, notamment pour la jeunesse, soulignent en effet le rôle d'étayage que la littérature peut jouer dans la construction de soi des jeunes lecteurs et des jeunes lectrices. (2007, 24)

Bon nombre d'œuvres ont comme cadre uneproblématique majeure facilement identifiable et présentent au lecteur, par le biais du personnage, des méthodes pour résoudre les conflits (Ridé 2006).L'aspect didactique est omniprésent : le « monde qui l'entoure [le lecteur anticipé, adolescent] », auquel fait référence Lagabrielle, est vaste. Le futur « soi » de l'adolescent-lecteur, ce « soi » que la littérature aide à construire, se doit de l'être rapidement, le « monde adulte » étant tout près. L’importance des leçons données est donc toute autre que celles qui sous-tendent les récits destinés aux plus jeunes enfants :

The basic difference between a children's and an adolescent novel lies not so much in how the protagonist grows – even though the gradation of growth do help us better understand the nature of the genre – but with the very determined way that YA novels tend to interrogate social constructions, foregrounding the relationship between the society and the individual rather than focusing on Self and self-discovery as children's literature does. (Seelinger Trites 2000, 20)

En effet, le contenu de la littérature pour adolescents questionne la relation qui existe entre le monde social dans lequel le protagoniste évolue et sa position même à l'intérieur des systèmes de pouvoirs qui le constituent. Les romans mettent très souvent en scène des personnages qui souhaitent s’éloigner ou défier des figures d'autorité, qu'elles soient parentales ou institutionnelles (Seelinger Trites 2000). Dans le cas qui nous occupe, le héros LGB tente de construire son identité en porte-à-faux, soit en décalage des enseignements hétéronormatifs reçus. Étant presque exclusivement représenté par les auteurs à l’intérieur d’une communauté fictionnelle hétérosexiste, le protagoniste devra se détacher de la norme pour être reconnu en tant qu'individu LGB. C'est pourquoi il m'apparait si important d'étudier sa voix et son discours : ces héros relèguent la norme à l'altérité. Pour un temps – celui du récit –, leur voix surpasse celle des hétérosexuels et ses nuances sont enfin entendues.

Quelques précisions sont nécessaires avant de débuter l'analyse. J’utiliserai les expressions « sa voix » et « son discours » en faisant référence aux mots prononcés par les personnages et aux actions qu'ils effectuent dans les pages des romans LGB. Il va cependant de soi que ces mots ont été écrits par un auteur et que le personnage n'est que le fruit d'une création. Je ne prétends aucunement que la place et le rôle de l'auteur dans la création de la voix que j'étudie sont négligeables ni ne crois cette voix détachée de celle de l'auteur. Cependant, dans le présent article, je ne ferai que peu de références aux auteurs des récits. Je m'intéresse davantage au personnage en tant qu’il est le lieu premier de l’implication et de l’identification du jeune lecteur. De fait, bien qu’il fasse figure d’intermédiaire entre l’auteur et le destinataire, ce dernier accorde au personnage crédibilité et agentivité, ce qui me permet d’en faire autant. Les actions du protagoniste demeurent au centre de l’œuvre, et je me concentrerai par conséquent sur la voix des personnages et son effet dans le champ de la littérature de jeunesse.

Une voix dissidente

On sait que les acteurs du roman destiné à la jeunesse (auteurs, éditeurs, et j'en passe), attentifs au point de vue du lectorat cible, souhaitent l'interpeller en lui donnant à lire une voix qui ressemble à la sienne, par le truchement d’un narrateur-enfant ou adolescent (Thaler et Jean-Bart 2002, 128). Pour les jeunes homosexuels ou bisexuels, l’accès au discours s’associe à divers enjeux identitaires et à un cheminement psychologique importants. Les acteurs du livre tentent de mettre en scène des personnages dont le parcours se rapproche au plus près de celui d'un adolescent réel qui doit construire son identité de personne LGB. Ils reconnaissent que, dans la très grande majorité des cas, « ces récits mettent en scène des personnages qui cherchent leur voie et la voix pour l’exprimer » (Champagne 2012, 124). Cette voix est l'un des dispositifs textuels permettant de véhiculer certaines idéologies et de transmettre différents messages. S'attarder sur le statut et les dires de cette voix

[permet] de répondre à des questions concernant non seulement les narrateurs et les narratrices de récits, les énonciateurs et les énonciatrices des discours sur l’homosexualité qui y sont véhiculés, mais aussi sur le sens de tels dispositifs textuels. Se demander qui parle, qui est autorisé à parler, de quoi et à qui, conduit irrémédiablement à s’interroger sur ce que cela implique en termes d’analyse culturelle et politique. (Lagabrielle 2007, 41)

Une parole dissidente au sein d'une masse, en apparence uniforme, se doit d'être considérée comme valide. La narration, la « voix », est l'un des éléments majeurs favorisant l'identification du lecteur au personnage. Les romans mettent en scène un personnage adolescent qui occupe le site de l'énonciation. Il ne délègue pas son pouvoir narratif à un adulte en situation d'autorité sur lui puisqu'il est, dans la majorité des romans, le narrateur de l'histoire, ainsi racontée selon son point de vue seulement. Bien évidemment, les auteurs de ces récits sont, sauf de rares exceptions, des adultes. Par contre, j'étudie ici le personnage en tant qu'entité propre, détaché de cet auteur. Il est un adolescent fictif dont les récits donnent à lire le parcours. Les lecteurs de telles œuvres sont appelés à s'identifier au personnage, à entendre sa voix et son discours. Si la voix du héros est particulièrement audible dans les romans du corpus, c’est que les romans à thématique LGB présentent majoritairement une narration que Renaud Lagabrielle qualifie d'autodiégétique-homosexuelle (2007, 42). Permettre à un individu minoritaire (fictif ou réel) de dire « je » lui confère une autorité discursive sur sa propre histoire, sur sa propre réalité, ce qui a des implications idéologiques et politiques majeures. Le choix du type de narrateur et du mode d'énonciation n'est donc pas anodin. En effet,

l’indétermination du moi, par l’utilisation de la première personne, établit de manière générale une relation privilégiée entre le lecteur et le narrateur, parce qu’elle permet au personnage-narrateur de « communiquer l’intimité inaccessible de son individu » et donc de faire accéder le lecteur à son mode intérieur. Le récit devient, ainsi, authentique et vraisemblable pour un lecteur disposé à partager l’expérience sensorielle vécue par le personnage. (Ben Ahmed Chemli 2012, 181-182)

Le lecteur est face à un récit intimiste par le biais duquel un protagoniste partage une expérience toute nouvelle pour lui, un vécu qu’il considère parfois honteux. Le roman se présente comme un discours si personnel qu'il ressemble à un monologue intérieur, une sorte de journal intime. Le lecteur a accès aux actions et aux pensées intimes du personnage. Celui-ci, inconscient du fait qu'il est « observé », ne se censure pas, et la subjectivité qui est donnée à lire est perçue comme étant authentique. Le lecteur n'a donc pas une vision globale de la situation et reconnait, dans ce manque implicite, l'autorité discursive et narrative du personnage (le « je »). Il lui est donné à lire la vérité du protagoniste LGB, cette vérité qui, avant, était transmise par des narrateurs hétérosexuels ou encore complètement évacuée du discours (Cart et Jenkins 2006, 90). Comme le souligne Renaud Lagabrielle,

le faible nombre de romans dans lesquels sont abordées les homosexualités amène […] à penser que le développement intellectuel, psychologique et affectif que la littérature contemporaine se donne pour objectif d'accompagner reste limité à la normalité, c'est-à-dire en ce qui concerne notre sujet à l'hétérosexualité. (2007, 17)

Cette citation, bien que faisant référence aux œuvres françaises du début des années 2000, est toujours d'actualité et s'applique très bien au corpus états-unien et encore davantage au corpus québécois.

Suivant cela, lorsqu'un auteur donne la parole à un jeune exclu de la majorité (ici, hétérosexuelle) et crée ainsi un récit en marge du champ littéraire « habituel », il convient de porter grande attention aux propos du texte. Ces œuvres font partie d'un monde social et ont un impact sur les idéologies qui le traversent. Comme le note Lynn C. Miller : « By creating pressure and objecting to societal definitions of normative behavior and values, the homosexual, by expressing himself/herself automatically enters the political arena, and the expression of homosexual behavior whether through arts, sports, or other endeavors, similarly raises political issues » (1994, 210). Il importe peu que le personnage dont il est question ici ne soit pas réel. Sa présence est déjà un pied de nez à l'hétéronormativité en littérature de jeunesse (et dans les arts en général). Esther Saxey abonde aussi en ce sens : « discourses of sexual identity help to create what they purport to describe. Thus the coming out story, which purports to describe a pre-existing sexual identity, is simultaneously contributing to the cultural construction of this identity » (2007, 5). Elle appelle coming out story tout récit mettant en scène un personnage homosexuel ou bisexuel d'importance puisque, nous le verrons, la sortie du placard est un trope récurrent au sein de ces récits.

Le discours transmis par ces textes l'est à l'aide du protagoniste qui prend parole dans l'univers narratif. La position de sujet que s’autoconfère un personnage homosexuel par le biais de l’énonciation est d’un grand intérêt théorique. Il n’est ainsi plus l’objet d’un double propos, hétéronormatif et adulte (Lagabrielle 2007, 43). Auparavant, les personnages LGB étaient bien souvent des protagonistes secondaires, un frère, un ami, ou des adultes gravitant autour du personnage principal hétérosexuel. En offrant un vecteur par lequel le lecteur peut s'identifier à un personnage LGB, la voix se trouve être porteuse d'un grand pouvoir. L'effet de lecture est celui d'un personnage qui s’appropriele site d’énonciation d’un savoir sur lui-même et met ainsi de l'avant une nouvelle vision du monde. Les romans à thématique LGB critiquent, par le biais du personnage et des difficultés auxquelles il est confronté, la société hétérosexiste. L'adolescent fictif devient un héros qui fait face à l'adversité, et ses antagonistes – ceux qui sont contre lui – sont appelés à être vus comme des « méchants » et des personnes auxquelles le lecteur ne devrait pas aspirer à ressembler.

Reconnaitre que les romans à thématique LGB ne sont pas nécessairement – ou pas uniquement – destinés aux jeunes LGB est primordial. La critique des mécanismes d'infériorisation de la praxis sociale que font les personnages est nécessaire pour les lecteurs qui n'en vivent pas les conséquences sur une base quotidienne. Protégés par leur privilège hétérosexuel, ils n'ont peut-être même pas conscience des complexités inhérentes à certaines situations qu'ils considèrent anodines (les vestiaires scolaires, par exemple). Comme le note Renaud Lagrabrielle :

Confrontés à une situation qui leur est étrangère, ces jeunes se heurtent en effet à des personnages qui les amèneront, on peut l'espérer, à réfléchir sur eux-mêmes, sur la façon dont ils considèrent la sexualité, et sur la place qui est faite aux différentes sexualités par la société dans laquelle ils vivent, et donc à repenser leur position face à l'homosexualité et à l'homophobie. (2003, 45)

D'autre part, ces récits sont aussi destinés aux adolescents LGB. Ils deviennent, pour eux, un outil qui leur permet de se sentir accompagnés, un matériau fournissant des pistes de solution face à diverses situations, une représentation de plusieurs modèles d'existence. Christine A. Jenkins et Michael Cart voient dans cette littérature un moyen de briser l'isolement : « In this quintessential literature of the outsider who is too often rendered invisible by society, there is also the need to see one's face reflected in the pages of a book and thus to find the corollary comfort that derives from the knowledge that one is not alone in a vast universe, that there are others “like me” » (2006, 1). Cette double destination est une caractéristique importante des œuvres du corpus puisqu’elle permet l’atteinte de multiples objectifs : accompagner et « éduquer ».

Construction des personnages

Cette voix qui se fait maintenant entendre – ou qui se donne maintenant à lire – n'est pas seulement celle d'un individu particulier. Bien sûr, la narration transmet les pensées de ces personnages uniques, mais la répétition de certains tropes – le coming out, par exemple – transforme la voix individuelle en une voix plurielle tout en conservant les traces des voix distinctes au sein du groupe (Lagabrielle 2007, 69). Elle devient alors le miroir d'un groupe spécifique. Le personnage n'est donc pas qu'un personnage, son discours n'est pas qu'un discours. Certes, les récits mettent en scène des événements fictifs, mais leur inspiration découle d’une problématique hors-texte bien réelle. Bien sûr, c'est le propre de nombre de récits mais, dans le cas qui nous occupe ici, la littérature à thématique LGB est encore « toute neuve ». Le corpus, surtout au Québec, a pris de l'ampleur au courant de la dernière décennie, et cette augmentation du nombre de publications pourrait être à mettre en lien avec les nombreuses campagnes de sensibilisation, le nombre croissant de représentations médiatiques nuancées, les études sociologiques (notamment, au Québec, Dorais 2011). Les romans dont je discute ici, et les personnages qui sont maintenant présentés aux lecteurs, me semblent être une réponse à cette discussion qui s'est engagée dans les dernières années, un effort renouvelé de visibilité.

C'est pourquoi la voix donnée aux protagonistes doit être étudiée : auparavant évacuée de la littérature destinée aux adolescents parce que subordonnée à un ordre sexuel implicite auquel les personnages dérogeaient, la voix donnée aux protagonistes LGB fait maintenant partie intégrante des systèmes de pouvoir qui régulent les idéologies et les habitus. La présence importante de jeunes homosexuels ou bisexuels au sein de la littérature permet de construire un discours nouveau, de combattre un silence qu'on pourrait qualifier de systémique : « The fact that silence is rendered as pointed and performative as speech, in relations around the closet, depends on and highlights more broadly the fact that ignorance is as potent and as multiple a thing there as is knowledge » (Kosofsky Sedgwick 1990, 4). Le silence nie toute différence et laisse croire que la culture dominante est la seule qui existe (Miller 1994, 212). Rompre le silence, c'est ici faire intervenir de multiples cultures et, par là même, rendre la société plus inclusive. Au sein de ce corpus de la littérature à thématique LGB, les adolescents fictifs (personnages principaux) construisent leur subjectivité et résistent à la doxa hétérosexiste qui les a bâillonnés jusqu'alors. Cette volonté d'être vus et compris et de donner à lire une réalité encore méconnue, ou du moins mal connue, passe par le traitement du sujet, évident, des homosexualités, mais aussi par la représentation des parcours individuels des personnages.Les héros sont construits de telle manière que, d'une part, les lecteurs s'identifient à eux et, d'autre part, une certaine diversité dans leurs expériences soit évidente. Ils ne sont pas définis seulement par leur orientation sexuelle, mais par diverses caractéristiques physiques et psychologiques, divers intérêts, qui les rendent multidimensionnels – j'y reviendrai.

Dès l'incipit des récits sont données des informations particulières au personnage principal et à son univers de référence. Une image mentale est ainsi créée, et la voix de l'adolescent fictif fait entendre ses balbutiements. Prenons les exemples de Absolutely, Positively Not et de The God Box :

Everybody has at least one ugly secret, and mine is as ugly as they come. I square-dance. With my mother. […] And the ugliest part of this secret is... I actually like it. […] I realize this is the twenty-first century. Being a sixteen-year-old square dancer might be the sign of a serious social disorder. But the sorry truth is that square dancing makes me happy... at least as long as nobody else finds out about it. (Larochelle 2005, 1-2)

“Sex and religion don't mix,” my grandma once told me. “The church should stay out of people's pants.” (Sanchez 2007, 1)

Steven (Absolutely, Positively Not) révèle d'entrée de jeu certaines informations, parfois secrètes, qui donneront le ton au reste du récit. Dès les premières lignes, le programme narratif est annoncé : comment ne pas faire de lien entre l'intérêt caché de Steven pour la danse carrée et son intérêt pour les garçons? La métaphore utilisée ici est limpide : il souhaite garder son intérêt pour cette activité secrète, même si elle est source de bonheur pour lui. Il est aisé de remplacer la danse carrée par une orientation sexuelle hors-norme qui pourrait être source de ridicule si elle est découverte. Il est aussi certain que Paul (The God Box) aura à se battre – et le terme n'est pas trop fort – avec sa foi lorsqu'il réalisera son homosexualité; le récit laisse aussi supposer que la grand-mère aura un rôle de soutien important à jouer. Le pacte de lecture, de l'ordre de la confiance et de la confession, s'instaure entre le personnage et le lecteur, le personnage lui révélant (souvent involontairement) des secrets qu'il ne confie pas aux autres personnages de son univers.

Les personnages des romans à thématique LGB sont habituellement âgés entre 15 et 18 ans et sont très différents les uns des autres. Qu’il s’agisse de Thomas (Champagne 2013, Recrue), un danseur Gumshoe, ou de Dominic (Addison 2017, Elle ou lui), star de hockey, il y a manifestement un désir de rendre le héros multidimensionnel avant même d'aborder un tant soit peu la thématique de l'homosexualité ou de la bisexualité. Cette construction sert deux objectifs, au-delà de celui, bien évident, de favoriser l'identification du lecteur au personnage. Tout d'abord, les textes illustrent que les individus LGB ne sont pas que cela, que leur orientation sexuelle n'est qu'une facette de leur identité et n'en constitue pas la totalité. Un personnage qui s'intéresse à plusieurs choses, qui pratique un sport ou qui met en mots ses désirs professionnels présentera une image forcément plus positive de l'homosexualité ou de la bisexualité. D'un autre côté, ces multiples intérêts permettent de diversifier un schéma narratif que plusieurs considèrent déjà comme répétitif.

De fait, j’émets l’hypothèse qu’on peut parler d’un parcours typique dans la construction narrative d'un roman à thématique LGB, laquelle s'apparente au parcours typique d'un jeune découvrant son orientation sexuelle tel qu'il a été étudié et documenté dans les études sociologiques (Dorais 2014) :

- Le personnage est mis en scène dans son milieu de vie : le lieu où il vit, son univers familial, ce qu'il aime, ses amis et ses relations amoureuses antérieures sont décrits. Tout cela concourt à établir l'univers de référence familier et renforce le réalisme du récit.

- Il rencontre une personne de même sexe, qui éveille en lui des sentiments nouveaux ou qui fait ressurgir des impressions passées qui le.la pousse à se questionner.

- Le personnage admet sa bisexualité ou son homosexualité et entre en relation avec l'autre. Ces deux étapes sont parfois inversées : le protagoniste peut rester dans le déni et prétendre « essayer » de nouvelles choses, sans plus. Elles sont aussi parfois simultanées.

- Le héros débute son coming out. Le choix des personnes à qui révéler son orientation sexuelle et les méthodes pour y parvenir sont des éléments qui varient grandement.

- Le personnage apprend à vivre ce qui semble être considéré comme « la vie » d'un adolescent LGB : s'exposer au regard des autres, aux moqueries, mais aussi jouir de la liberté d'être soi-même, sans honte.

J’en viens donc à la conclusion qu’ainsi se lisent la plupart des romans à thématique LGB, de tous pays confondus. Bien évidemment, il ne s'agit ici que des grandes lignes, desquelles émergent d'innombrables ramifications. Les auteurs effectuent des choix narratifs particuliers qui contribuent grandement à donner de la couleur aux personnages LGB, dont les représentations ont longtemps manqué de nuances et de profondeur. Si les personnages sont très différents les uns des autres, certains tropes sont récurrents, notamment la sortie du placard. S'y attarder plus spécifiquement est nécessaire pour comprendre dans quel contexte en vient à s'élever cette voix homosexuelle ou bisexuelle.

Prise de parole du personnage LGB : le coming out

Souvent qualifié de libération, le coming out est le moyen par lequel une personne LGB remet les pendules à l'heure : elle affirme – ou confirme – sa différence à l'autre, contre la présomption d'hétérosexualité qui pèse sur elle (Lerch et Chauvin 2013; Sanchez 2007). Le coming out est une prise de parole, un acte de langage dont l'impact va bien au-delà de la simple déclaration d'une différence; il s'agit d'un geste politique et revendicateur. Vanessa Wayne Lee affirme : « [Coming out is] a movement into a metaphysics of presence, speech, and cultural visibility. […] Or, put another way, to be out is really to be “in” — inside the realm of the visible, the speakable, the culturally intelligible » (1998, 152). Le coming out sous-entend une interaction avec autrui (personnages majoritairement hétérosexuels). L'homosexualité ou la bisexualité de l'adolescent fictif n'est alors plus une information connue de lui seul. Comme le note Renaud Lagabrielle : « Dire "Je suis homosexuel.le" ne se réduit en effet pas à une simple déclaration. Cela provoque une modification et un remaniement souvent profonds des rapports à soi ainsi qu'au monde qui l'entoure » (2007, 125). La sortie du placard est à comprendre comme une bifurcation dans le parcours de vie du personnage LGB et un passage obligé pour tout individu qui veut vivre sa sexualité sans se cacher :

L’injonction au silence et à la mise en secret de leurs désirs dont sont l’objet les homosexuel.le.s est indissociable d’une contrainte spécifique, celle du choix de révéler ou non leur homosexualité. Alors qu’au sein de la matrice sociale que représente la présomption d’hétérosexualité, être hétérosexuel.le "va sans dire", les sujets homosexuels sont obligés, eux, de déclarer leur sexualité, de la mettre en mots, d’abord pour soi, pour les autres ensuite. (Eribon 2010, 119)

Dans les romans à thématique LGB, plusieurs protagonistes sont agacés par cette obligation. Ils trouvent injuste de devoir déclarer quelque chose qui, pour eux, devrait aller de soi. Jeff, personnage de Suicide Notes, notamment, exprime très bien ce sentiment :

I'm imagining sitting down with my parents and actually saying, “I'm gay.” And you know what? It makes me a little mad. I mean, straight guys don't have to sit their parents down and tell them they like girls. Everyone just assume they do. But if you're gay, everybody make this ginormous deal out of it. You practically have to hold a news conference and take out an ad in the newspaper. Why? Just because it's not what most people do? That doesn't seem fair. Why should my parents know? So they can get used to the idea of not having a daughter-in-law? So they can practice imagining me walking down the aisle with a guy? I don't get it. Why is it that you have to warn people about who you are? Why can't it just be something that happens? (Thomas Ford 2008, 264)

La frustration de Jeff se porte contre l’hétérosexisme et la présomption d’hétérosexualité. Il croit que le coming out est effectué au bénéfice d’autrui, pour les prévenir (warn) que quelque chose n’est pas comme elle « devrait » être. Jeff voit la sortie du placard comme un devoir (should) et, n’étant pas encore très à l’aise avec son orientation sexuelle, se sent poussé vers quelque chose qu’il ne souhaite pas faire (pour le moment, du moins).

Comme le laisse entendre le discours de Jeff (« Why? Just because it's not what most people do? That doesn't seem fair. »), ce qui caractérise encore l’expérience des personnes LGB (et qui est mis en scène en littérature) n’est pas seulement leur attirance pour des personnes de même sexe, mais leur statut minoritaire. Didier Eribon note que :

C’est l’un des enjeux, bien sûr, de la visibilité et de l’affirmation revendiquées aujourd’hui par les gays et les lesbiennes : montrer que l’homosexualité existe et interrompre ainsi le processus de reproduction de l’évidence hétéronormative. Cela ne change certainement rien au fait que l’homosexuel aura toujours, à un moment donné de sa vie, à dire, ou en tout cas à faire savoir aux autres, à certains d’entre eux en tout cas, ce qu’il est, mais cela permet de rendre plus aisé le geste et moins douloureux le moment de ce dire. (2013, 85)

L’inéluctabilité de la sortie du placard est une ombre qui plane sur les existences des individus LGB. Les romans à thématique homosexuelle soulignent les difficultés liées à la sortie du placard. Philippe Mangeot note à juste titre que :

Au commencement, il y a la présomption d’hétérosexualité : un hétérosexuel n’est pas confronté à la question de savoir s’il doit ou non dire ce qu’il est; ce qu’il est va sans dire, et constitue le terrain a priori de l’ensemble des relations sociales. Dans ces conditions, la découverte de préférences homosexuelles est immédiatement contemporaine de l’expérience sensible du placard. (Mangeot 2003, 76)

Cette présomption d’hétérosexualité est ce qui, en quelque sorte, crée et maintient cette idée d’un « placard ». Et, pour la contrer, l’individu (et le personnage, dans le cas qui nous occupe) devra « se dire ». Par exemple, Mike, dans Whatever, or how junior year became totally f$@kedréalise soudainement que sa relation avec Wallace a des implications qu’il n’avait pas anticipées : « And then he has a holy-shit epiphany – Mike realizes he’s going to have to tell people. Not just Lisa or Jay or his crazy grandmother » (Goslee 2016, 203). Le mot « people » fait référence à des gens qui ne lui sont pas nécessairement proches. Il mentionne quelques amis, sa famille, mais sa crainte est manifestement dirigée vers ces autres à qui il se croit obligé de révéler cette information (have to).

Les romans soulignent l’importance de cette prise de parole qui sera répétée, encore et encore, au sein d’un même récit. Je crois, à l’instar de Didier Eribon et Renaud Lagabrielle, que le terme coming out devrait toujours être employé au pluriel (Eribon 2016, 174; Lagabrielle 2007, 120). Le choix de révéler ou non son orientation sexuelle hors-norme est donc à faire et à recommencer sans cesse; rares sont les romans qui ne présentent qu’un seul coming out. L’adolescent fictif évoluant dans différents milieux (scolaire, extrascolaire, familial, etc.) et fréquentant de multiples personnages au sein de ces milieux, il est logique de penser qu’il devra, s'il le souhaite, sortir du placard à plusieurs reprises.

Plusieurs chercheurs et presque tous les romans utilisent encore le mot « aveu » pour qualifier la sortie du placard (Dorais 2012; Lerch et Chauvin 2010). Le terme est apparenté à l’erreur, il connote la honte. Une grande part du champ lexical associé au coming out rappelle celui du crime, de l’enquête : révélation, secret, etc. La présomption d’hétérosexualité qui pèse sur les personnages les pousse à devoir rectifier le tir, exprimer leur vraie nature. « Tout le monde est hétéro, à moins de preuve du contraire », affirme le personnage de Maxence, dans Recrue (Champagne 2013, 68)Lorsque le héros sort du placard, il prononce les mots qui provoqueront une rupture dans la perception d’autrui face à lui : il n’est plus hétérosexuel aux yeux d’autres, mais bien homosexuel ou bisexuel. Son identité, bien qu’étant exactement la même qu’avant la déclaration, revêt tout à coup un caractère différent. Pour lui-même, mais aussi pour autrui. Et cette modification de statut identitaire passe par la parole.

En effet, le personnage au cœur du site de l’énonciation révèle à autrui un élément de taille qui risque de chambouler certains acquis : le statu quo n’est plus, il y a rupture. Le secret d’Antonio exprime cette réalité de façon très juste, suivant la révélation par le personnage principal de son homosexualité à son frère adoptif : « Pasqual changerait-il d’attitude désormais ou resterait-il comme avant? Antonio réalisait qu’à présent il y aurait toujours un avant qui viendrait ponctuer sa vie, un peu comme un marque-page dans un livre » (Paraire 2012, 146). Toujours, l’hésitation des protagonistes à faire leur coming out nait de la conscience que cette scission est inévitable. L’acte a des airs de finalité. Leur langage change, leur identité change, la perception d’autrui change aussi. Il n’y aura plus de retour en arrière, impossible pour le personnage de prétendre être hétérosexuel ensuite. C’est ce qui pousse Didier Eribon à affirmer, à juste titre, « qu’un gay apprend deux fois à parler » (2013, 154).

Lors de la sortie du placard, le protagoniste – malgré qu’il ait encore un certain pouvoir, en tant que narrateur, sur le discours sur les homosexualités – devient aussi un objet de discours dans la bouche des personnages secondaires du récit. Certains héros s’inquiètent d’être victimes d’homophobie après la révélation, ou de n’être vus qu’au travers du prisme de leur orientation sexuelle : « Everyone – classmates, teachers, the creepy guy who sold French fries in the cafeteria – would start to see me through a pinkish gay lens : There he is, the gay kid. That's the gay one there. You know Jamie – the gay kid? » (Klise 2010, 29). Cette nouvelle vision apposée sur soi par autrui sur laquelle ils n’ont aucun contrôle est la raison même de la réticence des protagonistes à sortir du placard. Ils hésitent donc à utiliser leur voix et à poser le geste significatif du coming out. Malgré ces craintes, les protagonistes des romans à thématique homosexuelle y parviennent, et plus d’une fois, bien souvent.

Impact des personnages LGB

La nouvelle voix littéraire LGB, au sein de la littérature destinée aux adolescents, critique la société hétérosexiste et dénonce les injustices. Elle donne à lire une nouvelle vision du monde et fait entendre un discours dissident au sein de la littérature de jeunesse. Ce discours est de plus en plus audible. La voix qui se fait maintenant entendre, celle sous laquelle s’accumulent nombre de prises de parole portées par les protagonistes et les auteurs, a été construite pour un lectorat bien spécifique : des individus encore en formation, qui se situent dans un lieu de transition, dans un écotone, entre l’enfance et le monde adulte. Les acteurs des romans destinés à la jeunesse (auteurs et éditeurs) ont des objectifs bien simples, objectifs qu’on pourrait dire communs à l’ensemble du corpus pour adolescents : aider les lecteurs à cimenter leur identité et à prendre conscience de leur agentivité. Les œuvres du corpus étudié dans le cadre de cet article, au moyen de cette voix et de l’expérience intime qui est mise en récit, exhortent à la tolérance, au respect des différences. Le champ littéraire a finalement laissé une petite place à un « je » dont les propos s’éloignent de la masse, un personnage minoritaire, parfois deux ou trois fois plutôt qu’une. En effet, comme on l'a vu, certains héros font partie de communautés culturelles, ce qui les expose parfois à une stigmatisation supplémentaire. Il en va de même pour les protagonistes pratiquant une religion dans un univers majoritairement laïque ou ceux ayant des intérêts considérés inappropriés pour un garçon (rappelons-nous de Steven et de son attrait pour la danse carrée). La voix de ces personnages, donc, doit être étudiée dans une perspective intersectionnelle qui permettra de rendre compte de toutes les injustices systémiques qu'elle aura dû combattre.

La prise de parole des personnages LGB se fait sur deux plans complémentaires. En affirmant sa différence au sein d’un récit dont la thématique n’est encore que peu exploitée dans le champ littéraire – et donc, ne mettant en scène qu’un très petit nombre de personnages à la sexualité hors-norme –, le héros LGB crée son identité à la fois dans l’univers narratif, mais aussi à l’extérieur de ce dernier, dans le monde « réel », pour le lecteur. Il devient une représentation de ce qu’une personne homosexuelle ou bisexuelle pourrait être, un représentant d’une certaine catégorie sociale tout en étant un personnage à qui un auteur a donné le droit de s’exprimer dans un univers narratif souvent semblable à l’univers référentiel. La prise de parole s’effectue aussi au sein même du roman, par le personnage lui-même qui, au-delà de la narration personnelle et de la relation intime qu’il entretient avec le lecteur, fera part de sa différence à autrui au moyen du coming out. La sortie du placard force les personnages secondaires à reconnaitre l’identité du protagoniste, ce qui le rend visible au sein de la diégèse.

En littérature pour la jeunesse, le récit se conclut habituellement par une certaine résolution émotionnelle pour le héros, par une leçon assimilée :

All YA novels depict some postmodern tension between individuals and institutions. And the tension is often depicted as residing within discursive constructs. Once the protagonists of the YA novel have learned to discursively negotiate their place in the domination-repression chain of power, they are usually depicted as having grown. (Seelinger Trites 2000, 52)

L’expérience de la sortie du placard ne peut se faire que par le biais de la parole (ou au moyen de gestes significatifs, sans équivoque, qui s’apparentent aussi à une déclaration, une performance). Dans le cas de la littérature à thématique homosexuelle, la résolution du conflit – souvent intérieur – du protagoniste passe par le coming out; sa résolution est donc directement liée à sa capacité de « dire ». D’ailleurs, la majorité des récits se terminent après que le personnage ait fait un ou plusieurs coming out, comme s’il avait alors atteint la fin de sa quête.

Cette nouvelle voix s’approprie aussi la place qui lui revient de droit dans le champ littéraire et si d’aucuns pouvaient dire que le peu de romans dans lesquels sont mis en scène des personnages homosexuels d’importance limite la portée de leur influence sur la praxis et les normes sociales hors du texte, il n’en reste pas moins qu’il s’agit ici d’un discours qui, au Québec, il y a dix ans, n’avait que quatre ou cinq porte-paroles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Aux États-Unis, alors qu’une centaine de romans à thématique LGBTQ+ furent publiés entre 1969 et l’an 2000, depuis, entre vingt et quarante publications apparaissent sur les tablettes des librairies chaque année (Lo 2011, 1). Cette voix prend de l’ampleur, et il ne nous reste qu’à l’écouter.

 

Bibliographie

Œuvres littéraires

Addison, Marilou. 2016. Elle ou lui. Boucherville : Éditions de Mortagne.

Alire Saenz, Benjamin. 2012. Aristotle and Dante Discover the Secrets of the Universe. New York : Simon & Schuster.

Champagne, Samuel. 2013. Recrue. Boucherville : Éditions de Mortagne.

Goslee, S. J. 2016. Whatever, or how junior year became totally f$@kedNew York : Roaring Brook Press.

Klise, James. 2010. Love Drugged. Minnesota : Flux Publishing.

Larochelle, David. 2005. Absolutely, Positively Not. New York : Arthur A. Levine Books

Paraire, Hélène. 2012. Le secret d’Antonio. Montréal : Guérin Éditeur.

Sanchez, Alex. 2007. The God Box. New York : Simon Pulse.

Thomas Ford, Michael. 2008. Suicide Notes. New York : Harper Teen.

Ouvrages théoriques

Ben Ahmed Chemli, Mouna. 2012. L’identification au personnage dans la didactique de la lecture littéraire : l’exemple de la trilogie de Y. Khadra. Mémoire de maîtrise (Littérature française), Université de Rennes 2.

Butler, Judith. 2004. Le pouvoir des mots, politique du performatif. Paris : Éditions Amsterdam.

Chaimbault, Thomas. 2002. « L’homosexualité dans la littérature pour jeunesse ». Vagabondageshttp://www.vagabondages.org/public/Documents%20%C3%A0%20joindre%20aux%20billets/Memoire2.pdf (Page consultée le 15 mai 2018)

Champagne, Samuel. 2013. Double échappée, suivi de Se dire, se comprendre : L’homosexualité adolescente dans les romans québécois pour la jeunesse. Mémoire de maîtrise (Littératures de langue française), Université de Montréal.

Chauvin, Sébastien et Arnaud Lerch. 2013. Sociologie de l’homosexualité. Paris : Éditions La découverte.

Dénommé-Beaudoin, Maude. 2003. L’homosexualité dans la littérature jeunesse québécoise (1988-2003) : du paratexte au personnage. Mémoire de maîtrise (Lettres et communications), Université de Sherbrooke.

Dorais, Michel. 2001. Mort ou fif. La face cachée du suicide chez les garçons. Montréal : VLB éditeur.

Dorais, Michel. 2014. De la honte à la fierté. Montréal : VLB éditeur.

Eribon, Didier2016. Réflexions sur la question gay. Paris : Flammarion.

Eribon, Didier2015. Théorie de la littérature. Système du genre et verdicts sexuels. Paris : Presses universitaires de France

Lagabrielle, Renaud. 2007. Représentations des homosexualités dans les romans français pour la jeunesse. Paris : L’Harmattan.

Mangeot, Ph2003. « Discrétion/placard », dans Tin, Louis-Georges (dir.). Dictionnaire de l’homophobie. Paris : Presses universitaires de France.

Saxey, Esther. 2007. Homoplot : The Coming-out Story and the Gay, Lesbian and Bisexual Identity. New York :Peter Lang Publishing.

Seelinger Trites, Roberta. 2000. Disturbing the Universe. Power and Repression in Adolescent Literature. Iowa City :University of Iowa Press.

Thaler, Danielle et Alain Jean-Bart. 2002. Les enjeux du roman pour adolescents – roman historique, roman-miroir, roman d’aventure. Paris : L’Harmattan.

Tin, Louis-Georges. 2000. Homosexualités : expression/répression. Paris : Stock.

Pour citer cet article: 

Champagne, Samuel. 2018. « Laisse-moi parler! Homosexualités en littérature destinée aux adolescents ». Postures, no. 28 (Automne) : Dossier « Paroles et silences : réflexions sur le pouvoir de dire ». http://revuepostures.com/fr/articles/champagne-28 (Consulté le xx / xx / xxxx).