La refiguration du roman Monsieur le Président dans le champ de la critique littéraire

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Dans les années 1970, l'Amérique hispanophone voit sur le marché du livre l'arrivée d'un grand nombre de publications d'œuvres littéraires traitant du thème de la dictature et en particulier de la figure du dictateur1, tels El recurso del método d'Alejo Carpentier (1974), Yo, el Supremo d'Augusto Roa Bastos (1974) et El otoño del patriarca de Gabriel García Márquez (1975). Certains critiques littéraires commencent alors à distinguer les romans fondateurs qui ont traité de dictateur de leurs héritiers. Dans cet article, il s'agira de démontrer la refiguration, dans le champ de la critique littéraire anglophone et hispanophone, du roman Monsieur le Président (El señor Presidente - 1946) de l'écrivain guatémaltèque Miguel Ángel Asturias. En effet, ce texte fut, de sa publication en 1946 aux années 1970, systématiquement comparé à quelques-uns de ses prédécesseurs littéraires qui abordaient eux aussi la figure du dictateur, l'érigeant ainsi en héritier d'une certaine tradition littéraire. Paradoxalement, dans la critique littéraire contemporaine, Monsieur le Président est plutôt devenu un texte de référence qui a donné lieu aux romans « classiques » de dictateur des années 1970.

Cet article tentera donc d’identifier un événement qui aurait pu avoir pour conséquence d'inverser cette tendance, ce rapport de la critique littéraire et de ses institutions envers ce roman d’Asturias. Par événement, nous désirons signifier, comme le définit Arlette Farge, « un moment, un fragment de réalité perçue[,] le point focal autour duquel se déterminent un avant et un après. [...] il crée du temps qui suit son accomplissement, il crée des relations et des interactions, des confrontations ou des phénomènes de consentement, il crée du langage, du discours » (Farge, 2002, 2). Dans le cas qui nous intéresse, ce sont les révélations de « mécanismes jusque-là invisibles » (2) qui permettent l'élaboration de cet événement. Comment rendre compte alors de quelque chose qui n'est pas arrivé?

Dans le cas de la refiguration de Monsieur le Président au sein du champ de la critique littéraire, la thèse de Raymond Joseph Gonzales, intitulée The latin american dictator in the novel (1971), illustre clairement ce tournant critique initié dans les années 1970. Certes s'il souligne, dans son chapitre consacré à Monsieur le Président, certains points communs qu’Asturias partage notamment avec Agustín Yáñez et Alejo Carpentier, Gonzales dégage surtout l'influence d'Asturias sur Carlos Fuentes, Mario Vargas Llosa, Augusto Roa Bastos, Gabriel García Márquez et d'autres jeunes auteurs2. En reprenant les propos de Juan Liscano3, Gonzales écrit que Monsieur le Président est le plus important roman de tous ceux qui ont été écrits sur le thème de la dictature dans l'Amérique hispanophone4. Gonzales accorde ainsi une plus grande importance à l'influence de Monsieur le Président sur les romans de dictateur des années 1970 qu'à celle de Tirano Banderas, roman culte de dictature écrit en 1926 par Valle-Inclán. Par le biais de cette thèse donc, Gonzales assure ainsi à Asturias une place de choix dans l'histoire littéraire hispano-américaine, que l'auteur conserve encore dans les anthologies contemporaines, comme il le sera démontré plus loin. Dans cet article, la thèse de Gonzales sera analysée à partir de ce qui la précède, soit l'échec du Prix Nobel reçu par Asturias en 1967, et de ce qui lui succède, c'est-à-dire l'intégration institutionnelle de Monsieur le Président, afin de montrer le processus de refiguration de ce dernier dans le champ de la critique littéraire.

L'échec du Prix Nobel

Monsieur le Président, premier roman d'Asturias, paraît en 1946 après dix ans de réécriture et d'ajouts (de 1923 à 1933). Pendant cette décennie, Asturias part étudier à Paris. À son retour en Amérique centrale, le dictateur Jorge Ubico sévit au Guatemala. De par ses implications politiques, le manuscrit de Monsieur le Président ne pourra pas être rapporté par Asturias, ce qui aura pour conséquence d'en retarder la publication5. Ce n'est que deux ans après la mort d’Ubico qu'Asturias, grâce à ses fonctions d'attaché culturel au Mexique, parvient à faire publier son roman dans ce même pays. Largement comparé au roman Tirano Banderas, Monsieur le Président suscite l’admiration de la part des critiques littéraires pour son style d'écriture très particulier. Juan Liscano, auteur de l'article intitulé « De Valle-Inclán à Miguel Ángel Asturias » publié dans la revue Europe (1958), revient sur la transition d'écriture opérée dans Monsieur le Président. Pour lui, la distinction entre les deux romans est très nette même si l'influence de Valle-Inclán n'est pas à nier. Il écrit au sujet du roman d'Asturias : « Il faudra attendre quelques années pour lire le roman qui traduira fidèlement les influences de Valle-Inclán et en même temps les sublimera jusqu'à dépasser l'original6. » (183) Malgré ce « dépassement » littéraire, Monsieur le Président ne s'extirpe pas de l'influence de Tirano Banderas que la critique littéraire veut bien lui prêter. C'est là un point majeur de l'avancée de la thèse de Gonzales qui souligne, au contraire de Liscano, que le travail d'Asturias était déjà bien entamé quand Valle-Inclán publia son roman en 1926 (Gonzales, 1971, 164), accordant ainsi une plus grande crédibilité au style d'écriture de Monsieur le Président, plus autonome que ce qu'aurait pensé de prime abord toute une partie de la critique littéraire.

Malgré qu'elles lui aient valu un Prix Nobel en 1967, vingt-et-un ans après la première publication en espagnol de Monsieur le Président, les œuvres d'Asturias ne se détachent pas d'analyses comparatives liées à une certaine « tradition littéraire » du roman de dictateur. Par exemple, dans la deuxième édition de l'ouvrage Histoire de la littérature espagnole et hispano-américaine 7 (1968 [1966]), Emiliano Diez-Echarri et José Maria Roca Franquesa écrivent qu'Asturias n'est pas seulement le meilleur romancier de son pays, mais un des plus remarquables d'Amérique8. Cependant, une section assez restreinte est allouée au roman Monsieur le Président, lequel est notamment décrit dans son rapport à Valle-Inclán et à Rafael Arévalo Martínez. Ce dernier publie en 1945 Ecce Pericles9, une forme de biographie du dictateur Manuel Estrada Cabrera, repris, sans jamais être nommé, comme figure de dictateur dans Monsieur le Président.

Par contre, du côté anglophone, Thomas E. Lyon écrira, dans un article intitulé « Miguel Ángel Asturias : Timeless fantasy : The 1967 Nobel Prize for literature » (1968), qu'Asturias est plus connu en Europe que dans son Amérique natale, que son travail a largement été traduit et lu à travers le monde alors que sa patrie ignorait tout de lui fn] Nous traduisons : « [Asturias] is better known in Europe than on his native American continent. His works have been liberally translated and read abroad while his homeland has all but ignored him. » (Lyon, 1968, 186) (186). Il va jusqu'à préciser qu'Asturias « reste [à cette époque] un célèbre auteur inconnu10 » (183). 

Robert G. Mead, dans « Miguel Ángel Asturias and the Nobel Prize » (1968), explique la situation littéraire internationale d'Asturias par rapport à celle de Gabriela Mistral, première récipiendaire du Prix Nobel pour l'Amérique hispanophone, en 1945. En effet, les deux semblent, selon ses dires, avoir éprouvé de grandes difficultés à obtenir une certaine reconnaissance par la critique littéraire. Cependant, pour Gabriela Mistral, ceci serait attribuable au fait que les systèmes de communication étaient largement inférieurs à ceux de l'époque d'Asturias11. Par ailleurs, les travaux actuels sur les Prix Nobel démontrent que la reconnaissance liée à l'obtention de ce prestigieux prix n'est pas au rendez-vous pour bien d'autres auteurs récipiendaires. Dans « Le prix Nobel de littérature à l'ère du numérique » (2012), Carolina Ferrer observe à l'aide de la base de données MLAIB que bien des auteurs nobélisés n'obtiennent pas, ni avant ni après leur Prix Nobel, une quelconque attention. Ce sont plutôt des événements importants concernant l'auteur ou l’une de ses œuvres qui permettent aux récipiendaires de faire l'objet d'un article, d'une thèse ou simplement d'une citation :

Dans la plupart des cas, une augmentation dans le nombre de publications critiques est le résultat d'un anniversaire, de naissance, de décès ou de la publication d'une première édition d'un texte. Il n'y a pas d'augmentation d'activité critique autour de l'œuvre d'un auteur ni avant ni après du [sic] couronnement par l'Académie suédoise. (32)

Mais pour Mead en 1968, si Asturias n'a pas joui d'une certaine estime de la critique comme un auteur digne du Prix Nobel le devrait normalement12, ce serait dû entre autres à des lacunes académiques au sein même des universités : « [...] in the fact that in the programs of most of our college Spanish majors, courses in Spanish American literature form a small minority of the total courses in Hispanic literature. » (Mead, 1968, 327) Quand il effectue un travail de recensement des écrits critiques sur Asturias, Mead n'en donne que six13, dont deux articles seulement qui traitent particulièrement du roman Monsieur le Président : l'un paru en 1961 (« Observations on El señor Presidente »)  et l'autre en 1967 (« Babylonian Mythology in El señor Presidente »), tous les deux publiés dans la revue Hispania.

C'est ici que la position de Gonzales diffère largement de celles de Mead et de Lyon quant à la difficile réception critique d'Asturias. Selon lui, l'auteur guatémaltèque « était déjà bien connu » (Gonzales, 1971, 165) dans son pays natal bien avant 1967, alors qu'à l'inverse, le reste de l'Amérique hispanophone avait du mal à se procurer ses œuvres. Reprenant une idée de la thèse Miguel Ángel Asturias : escritor comprometido (Donahue, 1965), Gonzales signale, à propos de Monsieur le Président, qu' « une des raisons de son manque d'impact sur le reste de l'Amérique latine était dû ironiquement aux règnes de terreur despotique qui existaient dans bon nombre de républiques latino-américaines14 » (Gonzales, 1971, 165). Ces deux positions en viennent en somme à se compléter puisque, d'un côté, il semble y avoir des lacunes dans le milieu universitaire anglophone quant à l'enseignement même des « Classiques », alors que de l'autre il y a bien un problème de circulation des écrits dans les pays hispanophones sous l'emprise des dictatures.

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les critiques littéraires semblent se rendre compte de la double voie qu'emprunte la canonisation d'Asturias. D'une part, cette dernière est « internationale » (de façon symbolique) grâce à l'obtention du Prix Nobel; de l'autre, elle est l'objet de questionnements dans les revues de critique littéraire de l'époque quant à l'absence réelle, pragmatique, d'Asturias en tant qu'écrivain de référence dans les recherches et ouvrages contemporains des années 1960-1970. Pour démontrer nos propos, nous nous sommes tournés vers des anthologies, dont celle de littérature latino-américaine contemporaine éditée en 1969 par José Donoso, auteur du roman L'obscène oiseau de la nuit et critique littéraire hispano-américain reconnu, en collaboration avec William A. Henkin. En effet, il ne s’y trouve qu'un extrait tiré de l'œuvre d'Asturias, et il ne provient pas de Monsieur le Président. De plus, l'anthologie, de par son titre même, inscrit Asturias dans la jeune génération d'écrivains, alors que nous pouvons considérer qu'il n'en fait plus partie après sa nobélisation.

Tournant critique et postérité

De prime abord, la thèse de Gonzales semble tout simplement correspondre, de manière générale, au tournant du champ de la critique qu'il décrit lui-même dans son propre travail comme le constat que « l'influence de Tirano Banderas de Valle-Inclán et de El señor Presidente d'Asturias est devenue plus apparente dans les dernières années15 » (Gonzales, 1971, 124). Or, il ne s'agit pas justement d'une thèse parmi d'autres écrites à cette époque, il ne s'agit pas non plus d'une simple analyse stylistique qui rapprocherait Monsieur le Président de Tirano Banderas et de leurs héritiers; il s'agit plutôt de suggérer une refiguration de l'importance du roman guatémaltèque de 1946 pour la critique littéraire. Quand en 1971 Gonzales écrit d'Asturias que ce dernier « avait acquis une grande notoriété bien avant de gagner le prix convoité, principalement à cause de l'attrait universel de son travail » 16 (158), il déplace tout un pan de la réception critique qui jusque-là, comme nous l'avons mentionné précédemment, divergeait quant aux impacts du Prix Nobel sur la carrière d'Asturias. Ses propos élogieux sur Monsieur le Président, « son travail le plus important » 17 (160) selon lui, aboutissent ainsi à transformer, voire à inverser, la tendance de la critique à omettre l'importance d'Asturias qui précédait la publication de cette thèse. Gonzales fait de ce roman l'œuvre la plus marquante de l'auteur guatémaltèque, laquelle possède, selon ses recherches, une double portée dans le champ de la réception critique et littéraire : « El señor Presidente est évidemment le plus important roman d'Asturias, pas seulement du point de vue de sa renommée internationale, mais aussi à cause de son influence sur les autres romanciers de l'Amérique latine18. » (162)

De l'ombre à la reconnaissance : l'écrivain

Comme l'écrit Farge dans son article « Penser et définir l'événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux », l'événement a une postérité, laquelle se construit par la production de niveaux discours. Après Gonzales, plusieurs autres littéraires vont donner une position plus importante à Asturias et à Monsieur le Président dans l'histoire littéraire hispano-américaine. Nous prendrons l'exemple de José Donoso, qui avait inséré Asturias dans son anthologie de littérature hispano-américaine contemporaine en 1969. En 1972, Donoso réhabilite l'écrivain guatémaltèque dans la cour des « Grands » dans son ouvrage très connu Histoire personnelle du « Boom » 19 où Asturias devient une sorte d'autorité littéraire. Il distingue clairement la jeune génération d'auteurs et les « Anciens » (dont fait partie désormais très explicitement Asturias) 20, ces derniers dont il avouera qu'ils « étaient traduits dans plusieurs langues à leur époque, mais [que leurs œuvres] avaient une circulation limitée21 » (Donoso, 1972, 21). C'est d'ailleurs ce qu'avait déjà constaté Mead en 1968 dans son article « Miguel Ángel Asturias and the Nobel Prize ». Or, « la "popularité" du roman hispano-américain contemporain était largement causée par l'efficacité des mécanismes de publicité que les maisons d'édition avaient mis en place dans le but de lancer les livres qu'elles étaient prêtes à vendre » 22 (69). Pour Donoso23, c'est cette différence flagrante de mise en marché de la littérature hispano-américaine qui permet la nette distinction entre les deux générations. Nous découvrons alors que pour refigurer Monsieur le Président, la critique littéraire s'est d'abord penchée sur la figure même de l'auteur avant de s'attarder au texte propre.

De l'ombre à la reconnaissance : Monsieur le Président

D'autres recherches dans la même veine que celles de Gonzales seront publiées hors des frontières des Amériques, en diverses langues, dès le milieu des années 1970. Nous pensons ici à celles de Giuseppe Bellini, lequel a consacré une bonne partie de ses travaux à Asturias. En 1975, Bellini publie un article en français traduit de l’italien dans la revue Europe, dont le titre est assez révélateur : « Monsieur le Président et le thème de la dictature dans le "Nouveau roman" hispano-américain ». Il s'agit dans ce texte d'établir Monsieur le Président comme le plus important roman de dictature de l'Amérique hispanophone. En effet, le roman d'Asturias serait, selon les propos de Bellini, un « livre-symbole » (Bellini, 1975, 152) influençant les auteurs des années 1970 (Carpentier, Roa Bastos, etc.) qui, avec le retour des dictatures dès 1973, écrivent de façon prolifique sur le sujet. L’idée générale de Bellini est de poser Monsieur le Président comme LE roman qui inaugurerait finalement le « Nouveau roman24. » hispano-américain « par ses nouveautés de structure, par l'utilisation du temps, la modernité des techniques de narration ou le rôle conscient du style » (156). Monsieur le Président deviendrait alors le chef de file du roman de dictature, la référence pour toute la génération qui le suit : « L'ombre de Monsieur le Président se projette fortement sur l'ensemble du roman hispano-américain postérieur à El Reino de este Mundo, jusqu'à ce qu'on l'a [sic] appelé la "nueva novela" [...]. » (156) D'ailleurs, dans le même numéro de la revue Europe, nous trouvons aussi, dans une optique plus générale mais tout aussi similaire, un autre article intitulé « Miguel Angel Asturias et le "nouveau roman" hispano-américain ». Il semble donc que la critique littéraire européenne développe une pensée à propos d'Asturias qui est similaire, voire qui rappelle, celle que nous avons soulignée chez Gonzales en 1971, afin d’offrir une visibilité tout autre à Monsieur le Président dans l’histoire littéraire.

Bien après les années 1970, l’influence de Monsieur le Président sur les « jeunes » auteurs, abordée initialement par Gonzales dans sa thèse, sera soulignée par les littéraires. Monsieur le Président est encore aujourd’hui l'objet de plusieurs recherches, autant dans les milieux anglophones qu'hispanophones, comme en témoignent les articles et les thèses universitaires ayant pour sujet la dictature, que nous pouvons retrouver notamment dans les bases de données. Dans les histoires littéraires hispano-américaines, le roman d'Asturias a désormais une place référentielle de choix. Si des hésitations persistent à savoir s'il initie réellement le Nouveau roman hispano-américain, l'influence de Monsieur le Président ne fait plus aucun doute pour les auteurs de la nouvelle génération, comme en témoigne The Cambridge History of Latin American Literature, publié vingt-cinq ans après la thèse de Gonzales. On y trouve de façon générale le constat d’une réelle influence du tournant critique des années 1970 concernant Monsieur le Président, dont il est signalé qu'il est devenu, rétrospectivement, « extrêmement influent dans les années 195025 » (González Echevarría et al., 1996, 246). Dans un ouvrage sur les Prix Nobel hispano-américains, Antonio Lorente Medina écrit à propos de Monsieur le Président que « l'immense retentissement et la connaissance généralisée que l'on a de cet ouvrage dispensent [le critique] de procéder à [son] analyse détaillée » (Lorente Medina et al., 1994, 39).

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Dans cet article, nous avons tenté de démontrer la complexité du parcours de Monsieur le Président en tant qu’œuvre canonique de la littérature hispano-américaine, voire même mondiale, traitant de la dictature. À l'instar de ce qu'explique Farge, il était question de mettre en évidence les processus de canonisation qui entourent une œuvre, invisibles de prime abord. Gonzales a en ce sens fait un pas de géant pour renverser le peu d'importance accordée à ce roman fondateur qu'est Monsieur le Président. En effet, à travers l'analyse du champ de la réception critique antérieure à la publication de la thèse de Gonzales, nous avons constaté les effets, dans ce cas-ci presque nuls, de la remise du Prix Nobel à Asturias en 1967. La canonisation symbolique d'Asturias n'a eu que très peu de conséquences sur la reconnaissance internationale de l'auteur guatémaltèque, et encore moins sur son roman Monsieur le Président, si ce n’est le début d'un questionnement de la part de la critique littéraire sur son propre silence à propos de cette œuvre. Il semble évident que les critiques de l'époque connaissaient l'importance du roman Monsieur le Président, mais que ce n'est que grâce à l'arrivée d'une nouvelle génération de romans traitant du thème de la dictature que le texte d'Asturias va trouver sa place. Gonzales vient, dans son cas, poser une refiguration du roman d’Asturias dans l’histoire littéraire hispano-américaine.

Nous avons constaté que pour aborder Monsieur le Président en tant que tel nous devions passer par la figure même de l'écrivain. Si l'auteur n'est pas présenté, les ouvrages, articles ou thèses n'effectuent tout simplement pas d'analyse de Monsieur le Président. Contrairement à Cent ans de solitude qui a largement dépassé son auteur, Monsieur le Président a d'abord dû attendre la reconnaissance d'Asturias avant de se trouver parmi les meilleurs textes de ce dernier.

 

Bibliographie

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Pour citer cet article: 

Maiorana, Roxane. 2016. «La refiguration du roman Monsieur le Président dans le champ de la critique littraire.», Postures, Actes du colloque « Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire», n°24, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/maiorana-24> (Consulté le xx / xx / xxxx).